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La fois où j’ai perdu mon identité dans la cour d’école. La fois où j’ai raté mon immigration. La fois où j’ai accouché d’un enfant bizarre. La fois où j’ai voulu me cloner pour pouvoir tromper mon chum en paix. Ces moments où tout est nouveau, inédit, et où je plonge comme si je savais jouer de cet instrument imprévisible: la vie.

Une vie fretless ou comment j’ai accouché d’une méduse donne la voix à une femme décomplexée qui refuse d’entrer dans les cases imposées par la société. Ici, la marge n’est pas seulement un espace de liberté, mais une réalité qui fait crier et perdre le nord. Avec ses notes punk, sa poésie brute et ses fulgurances, ce one-woman-show hypnotique renverse notre conception de la normalité avec force et profondeur.

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Extrait

Enceinte je suis en permanence dans une espèce d’état second, ce qui confère une aura d’irréalité à la situation. Les hormones, je suppose. Et je reste sceptique. Cette « entreprise », pour le moins ambitieuse, arrivera-t-elle à terme? Et dans l’affirmative, quel sera le résultat? Le travail accompli dans l’ombre par le corps me fascine, m’intrigue, me jette dans une forme d’effroi. Le fait d’imaginer la multiplication et la division des milliards de cellules dans un ordre préétabli qui s’enclenche tout seul et aboutit à un bébé, toute cette activité qui se déroule dans mes entrailles me donne le vertige.

Quand on voit les résultats, on se rend compte que j’avais raison de douter. Pendant la multiplication des cellules, il y a parfois ce qu’on appelle des ratés. 

Est-ce que je viens de traiter mes enfants de ratés? Non. Presque, mais non. Ils sont un peu tarés, oui, ratés, non. Ils sont parfaits comme ils sont, en fait. Question de perspective.

On en parle

(…) le sort réservé à sa petite fille atteinte d’une maladie dégénérative a fait naître chez Anouk Lanouette Turgeon une obligation, un besoin viscéral de raconter plus largement la douleur causée par la fatalité. (…) La liberté qui motive l’écriture de Lanouette lui vient ainsi beaucoup de Michel Garneau, qui lui a légué, confie-t-elle, cette obligation de sortir des clichés, d’aller ailleurs, de ne jamais utiliser une expression convenue ou d’étirer la sauce avec des adverbes. Une façon de faire qu’on perçoit avant même d’ouvrir son roman, dans cette “vie fretless”, une analogie qui lui permet d’évoquer singulièrement des moments de vie inédits joués sans repères, des moments où elle a dû jongler avec l’invisible.
— Le Devoir

Déstabilisante, cette honnêteté pare le texte d'une ouverture qui invite à déconstruire les présupposés et à entendre ce qui est souvent pensé, mais rarement dit. La singularité de cette voix constitue l'une des qualités majeures de ce roman. Elle ébranle et en ce sens participe à quelques-uns des rôles qu'appelle le littéraire: remettre en perspective, modifier le regard.
— Lettres québécoises

Racontée par fragments, cette histoire séduit autant qu’elle perturbe. Malgré l’exubérance, le goût du risque (et de l’adultère) de la narratrice, on s’attache à cette femme qui revendique son droit d’être une mère imparfaite comme toutes les autres. Une lecture qui renverse notre conception de la normalité.
— Coup de pouce