Peut-on séparer un·e artiste de son œuvre ?
Rebecca Makonnen se questionne sur les œuvres d’artistes aux comportements problématiques.
Safia Nolin se confie sur la place médiatique qu’occupe sa personne en regard de sa musique.
Caroline Monnet réfléchit sur la part de son identité anishinaabe dans son travail artistique.
Alexandre Goyette retrace les adaptations multiples de sa pièce King Dave.
Marie-Ève Trudel imagine un dialogue entre une artiste et son œuvre impatiente de naître sur les planches, après deux ans de pandémie.
Gabriel Cholette sonde la frontière poreuse entre autofiction, récit et essai.
Eftihia Mihelakis raconte son aliénation dans le milieu des colloques universitaires.
Laurie Bédard regarde vers l’avenir du milieu littéraire post #metoo.
Jérémie McEwen dirige cet ouvrage collectif, qui fait éclater la question de départ en mille miroirs de notre époque.
Extrait
J’ai invité des gens que j’admire pour écrire dans ce livre. Des gens que j’avais envie de lire sur ce sujet. Je les ai pointés vers un angle, tout en insistant sur le fait que je les laissais libres. J’ai été chanceux : les huit personnes que j’ai approchées m’ont dit oui ; que mes premiers choix. J’en suis très flatté.
Cette question, jusqu’à quel point faut-il faire le lien entre la vie de l’artiste et son œuvre, tout amateur d’art se la pose depuis quelques années. À notre époque, il est question, je crois, de degrés de ce lien, puisque les séparer strictement est devenu presque impossible, autant quand vient le temps de nuancer notre admiration pour un.e artiste que lorsque nous le portons aux nues en tissant des liens entre son œuvre et son identité. Les pages qui suivent veulent articuler quelques niveaux de ces degrés, dont je ne prétends pas connaître toutes les subtilités.
Il y a bien sûr d’abord la question classique, posée frontalement, à savoir si on peut séparer l’artiste aux comportements questionnables de son œuvre. J’ai demandé à Rebecca Makonnen d’écrire sur cela, puisque après six ans de collaboration radio, j’ai constaté qu’elle traitait de ce thème très souvent ; en effet, elle baigne quotidiennement dans le questionnement éthico-artistique médiatique. Elle a écrit un plaidoyer, un manifeste presque, dont je me porterais volontiers signataire. Pour ce qui est de Safia Nolin, que je ne connais pas personnellement, je lui ai demandé un peu impudiquement d’écrire sur l’intérêt médiatique sur sa personne, qui dépasse l’intérêt pour ses chansons. Elle m’a offert un récit d’une intimité désarmante. Pour compléter mon premier trio de collaboratrices vedettes, j’ai demandé à l’artiste multidisciplinaire d’origine anishinaabe Caroline Monnet à quel point son identité ethnique faisait partie de son travail. Ça me prenait des vedettes, parce que la question me semble profondément liée au vedettariat. Rebecca et Safia m’ont écrit leurs premiers essais à vie, alors que Caroline a préféré que je l’interviewe, comme je l’ai fait à quelques reprises ces dernières années, dans une générosité encore une fois renouvelée.
Je me tourne ensuite vers le milieu théâtral, parce que c’est un milieu que je côtoie constamment avec ma blonde qui y œuvre, un milieu que j’aime, qu’on entend trop peu, et qui nous amènerait ailleurs, je le savais d’emblée. J’ai approché Alexandre Goyette, parce qu’à chaque fois que je l’entendais en entrevue sur la véritable épopée de sa pièce King Dave, je me disais que cela devait être écrit quelque part, pour contribution à la mémoire de l’histoire de l’art au Québec. J’ai ensuite demandé à Marie-Ève Trudel d’écrire sur le bouchon de diffusion dans le théâtre, des créations ne trouvant pas d’issue dans les salles, dans le contexte post-pandémique. Elle est partie de là pour aller complètement ailleurs, dans un dialogue surréaliste entre un artiste et son œuvre à naître ; j’étais ravi.
Mon dernier trio est constitué d’ami.es du monde littéraire. Quand j’ai lu Carnets de l’underground de Gabriel Cholette, j’ai trouvé une nouvelle voix essentielle des lettres québécoises. Je le voulais dans ma gang, je lui ai demandé d’écrire sur la frontière entre autofiction, essai et récit. C’est ce qu’il a fait, dans un texte aussi sensible que subtil, qui m’a franchement soufflé. Quant à Eftihia Mihelakis, nous avons travaillé ensemble pour l’essai en dialogue J’enseigne depuis toujours en 2020, et alors que je lui ai demandé un texte sur l’influence du féminisme sur la littérature, elle a plutôt écrit un récit sur son aliénation dans un colloque universitaire en France. Je suis très reconnaissant de son indocilité. Finalement, je suis Laurie Bédard sur les réseaux depuis un moment. Elle fait des excellents statuts, sur tout et sur rien, notamment sur ce qu’on peut nommer « le milieu littéraire », et je voulais lire un long statut de sa part.