Hivernages est un roman troué; un hiver qui ne s’est pas terminé, raconté par fragments et dans le désordre. Différents personnages tentent de survivre au froid, à la solitude, à la mort. Deux sœurs qui s’aiment trop, une fillette aux mains crochues, un garçon qui refuse de se couper les cheveux, un vieux qui a oublié son nom, des vieilles qui mangent des beignets dans une ville souterraine, une femme qui n’a jamais connu d’orgasme, tous survivent à la tempête dans un paysage d’aurores boréales.
L’écriture de Maude Deschênes-Pradet, déjà remarquée avec son premier roman, La corbeille d’Alice, évoque à merveille l’hiver, le froid, la solitude, la résilience. Si l’histoire est racontée avec une certaine retenue, de la pudeur et beaucoup de délicatesse, il y a aussi, dans Hivernages et ses scènes saisissantes, une véritable puissance d’évocation poétique d’un univers fantastique, post-apocalyptique.
Extrait
Elle était obsédée par l’image des grands espaces. Savoir que ces derniers sont froids, hostiles et dangereux ne l’a pas arrêtée. Lorsqu’elle a découvert qu’elle était enceinte, elle a dit: «L’enfant sera libre ou ne sera pas.» La curiosité et la témérité sont brimées dès l’enfance à Ville-réal. Soigneusement et méthodiquement. Pour Alyse, laisser faire cela à son propre bébé n’était pas envisageable.
Sam a refusé de l’accompagner. C’était clair entre eux: l’enfant appartenait à Alyse. Lui, de toute façon, n’avait jamais souhaité d’enfant. Un être qui dépendrait de lui pour survivre. Elle ne lui a pas annoncé le jour de son départ. Ils avaient décidé que c’était la meilleure façon: il ne pourrait pas l’empêcher de partir ni la dénoncer, et il ne saurait rien de ses préparatifs. Cette ignorance le protégerait des enquêtes et des interrogatoires.