Une des sœurs s’évade sans cesse – nous l’appellerons Felis silvestris, c’est le masque qu’elle s’est choisi pour sa nouvelle vie dans un campement militant.
D’elle, personne n’a de nouvelles.
L’autre n’a pas de nom, pas de maison: elle flotte dans un entre-deux, cherche où se poser enfin. Mais c’est à elle qu’on demandera des comptes et qui devra, puisque quelqu’un doit le faire, imaginer les jours et les nuits de Felis au bois vivant.
Un roman férocement sensoriel, dialogue murmuré entre deux êtres habités par la forêt, le lien familial, l’art et l’engagement.
Extrait
Pendant longtemps les forêts étaient loin ou bien c’était nous qui les tenions à distance ; il y avait là un potentiel de disparition dont il fallait se garder pour préserver la vie tranquille, la seule qui valait.
Puis j’ai reconnu tes yeux sur une photo, au milieu d’une page web. Dans la fente d’une cagoule : tes grands yeux bleu clair, ceux de maman, ceux de mamie et des générations de femmes avant elles. Le bleu des soeurs aînées. Encadré de tissu noir, notre blason de famille crève l’écran. Je me demande quel objectif tu fixes avec une telle détermination. Sans doute y a-t-il, face à toi, quelqu’un qui le sait. J’ai envoyé l’article à maman.
Objet : Ta fille.
On en parle
Premier roman d’Anouk Lejczyk, paru d’abord l’an dernier en France aux Éditions du Panseur, Felis Silvestris (« chat sauvage » en latin) rappelle par sa plume singulière, son souffle lyrique et sa sensualité envoûtante les univers de Gabrielle Filteau-Chiba (Sauvagines, XYX, 2019) et d’Audrée Wilhelmy (Le corps bête, Leméac, 2017). Évoquant également la pensée, l’oeuvre et la vie de Henry David Thoreau, ce court roman hypnotique, parfois déroutant, célèbre la force des liens familiaux autant que celle des rapports entre l’humain et la nature, sans oublier pour autant d’y apporter un regard critique lucide et acéré.
– Manon Dumais, Le Devoir, 19 mai 2023