La constitution de la littérature québécoise contemporaine est tenaillée par la représentation de ses marges, formation imaginaire de l'identité qui s'éprouve au prix d'un bord à bord, à la fois angoissant et jubilatoire, avec la figure de l'étranger. Le cosmopolitisme est donc un motif déterminant des textes littéraires contemporains qui mettent en scène l'hétérogénéité de l'univers social, à la faveur d'une interrogation sur la distinction de l'identité et de l'altérité. À l'apparition de ce dispositif cosmopolite s'ajoute de plus cet autre motif déterminant qu'est «l'arrivée en ville» du roman québécois. La réévaluation constante des paramètres de l'identité québécoise, au cours des vingt-cinq dernières années, est en effet justifiée par l'importance de la représentation de l'univers montréalais, comme si les textes littéraires devenaient peu à peu des assemblages composites, à l'exemple du métissage culturel qui caractérise progressivement la définition de la québécité.
Ces interrogations sont d'une brûlante actualité. Elles démontrent que l'imaginaire social québécois accepte peu à peu de se départir d'une illusion d'omnipotence quant à la dimension fondatrice, exceptionnelle de son identité. L'hétérogénéité, l'ambivalence, la constitution malaisée, expressions qui reviendront fréquemment au cours de cet essai, ont en commun de souligner le déplacement de ce délire d'élection — affirmation d'une autochtonie — qui a caractérisé si fortement la fiction québécoise. Les textes parcourus dans cet essai posent un défi à cette dernière. Ils suggèrent l'abandon de cette carapace protectrice que constitue la «représentation» de l'étranger. Ils suscitent des interrogations quant à une littérature québécoise qui ne s'accrocherait plus au désir de préserver un sens premier, ce qui permettrait en retour d'abandonner la saisie spéculative de l'étranger au profit de l'écriture d'une étrangeté de la langue.
On en parle
L’essai de Harel est une réflexion fondamentale sur la présence ambiguë, à la fois menaçante et fascinante, toujours déstabilisante, de l’étranger dans la littérature québécoise contemporaine, reflétant, à un second degré, les attitudes changeantes de la psyché québécoise face à l’Autre.
– Heinz Weinmann, Le Devoir