L’immigré fait souvent face à un difficile dilemme: devenir autre ou rester lui-même. Régine Robin, française, mais aussi juive d’Europe de l’Est de par ses parents, rend compte de sa difficile intégration dans une ville qui la rebute d’entrée de jeu avant qu’elle la découvre par petits pans. Régine Robin nous livre son témoignage dans un style postmoderne qui déroute, surprend et captive le lecteur.
Extrait
Pas d’ordre — ni chronologique, ni logique, ni logis
les articulations sont foutues.
Il n’y aura pas de messie.
Il n’y aura pas de récit
tout juste une voix plurielle
une voix carrefour
la parole immigrante.
[…]
La parole immigrante inquiète. Elle ne sait pas poser sa voix. Trop aiguë, elle tinte étrangement. Trop grave, elle déraille. Elle dérape, s’égare, s’affole, s’étiole, se reprend sans pudeur, interloquée, gonflée ou exsangue tour à tour. La parole immigrante dérange. Elle déplace, transforme, travaille le tissu même de cette ville éclatée. Elle n’a pas de lieu. Elle ne peut que désigner l’exil, l’ailleurs, le dehors. Elle n’a pas de dedans. Parole vive et parole morte à la fois, parole pleine. La parole immigrante est insituable, intenable. Elle n’est jamais où on la cherche, où on la croit. Elle ne s’installe pas. Parole sans territoire et sans attache, elle a perdu ses couleurs et ses tonalités. On ne peut pas l’accrocher. Parole féta, parole bagel, parole pistache, parole poivron, parole cannelle, elle a perdu son nom, sa langue et ses odeurs.