« Le Nord et ses espaces infinis, souvent faits de toundra, m’a toujours puissamment inspiré, il fournit un sens magnifié à mon existence. Je suis toutefois conscient que la réalité, au Nunavik, est devenue souffrante, et ces années-ci plus que jamais. Il y a bien sûr la vie qui bat son plein et des centaines de bambins beaux comme des aurores boréales qui s’amusent dans des trous d’eau même à minuit, au solstice d’été. Plusieurs projets sont aussi mis en place par des êtres d’exception qui souhaitent animer la vie au Nord. Mais la souffrance collective nordique reste indéniable. Une véritable révolution doit avoir lieu au coeur des quatorze villages des côtes de l’Ungava et de la baie d’Hudson. »
Jean Désy côtoie le Grand Nord et ses habitants depuis près de 30 ans dans le cadre de sa pratique médicale. Éveilleur de consciences, sonneur d’alerte, il signe ici un essai tiré du journal de ses séjours des quatre dernières années à Salluit en tant que médecin dépanneur. Pour manifester son soutien au peuple inuit, l’homme d’action se fait livre ouvert, partage ses méditations et observations sur un monde nordique affecté par une crise sans précédent, caractérisée par un taux de suicide dramatique.
Extrait
Mercredi 25 mai, dans la nuit. La garde se déroule plutôt bien jusqu’à maintenant. Je me trouve dans l’exacte atmosphère de mes nuits de veille d’il y a dix ou vingt ans. En attente d’un appel d’urgence, on ne sait jamais ce qui va arriver. Parfois, c’est le silence radio. D’autres fois, c’est la frénésie. […] Et puis enfin, il y a le pire, les victimes de violence, quel que soit le type de violence.
Chaque suicide est un drame. Dans le Nord, ce genre de drame survient dix ou quinze fois plus souvent qu’au Sud. La tâche qui est la mienne est de contribuer à réduire les dégâts causés par cette épidémie en sauvant parfois quelques vies, même si je sais très bien que mon rôle est limité. L’état suicidaire qui règne dans une communauté est une affaire de société.