Idéaliste et excessive, Éloïse promène son désir dans les rues de Montréal. Abreuvée de mythes antiques, elle raconte une histoire d’amours multiples et de passion aveuglante. Ça parle de job qu’on déteste, de peintres oubliés et de valse enivrante. On y croise le Lac des cygnes dans un bar, Cendrillon dans un trois et demie et la plus belle tache rouge dans un musée de Philadelphie. Quand la rivière des Prairies devient le Styx, ça donne des baises poches sous les saules pleureurs et le Songe d’une nuit d’été dans une piscine. Ils s’appellent Éloïse, Vali, Cassandre, Marika et Gabriel. Ils sont imparfaits, affamés et splendides.
Extrait
Vali, sans bien connaître ton âme, je sais ma propension à lire tes silences à l’aune de mes désirs. De nos corps vient mon unique certitude : si mes doigts avancent sur tes avant-bras, nous finirons éreintés sur le sol.
- C’est bon de te voir.
- Toi aussi.
- …
- …
Son visage est plat et ses contours angulaires. Pour la première fois, je remarque la peau fragile autour de ses yeux. Il a des cils foncés et drus, des cils de tyran qui rendent déconcertante la douceur de ses iris noirs.
- Je vais devoir l’appeler, je lui ai promis de le faire si jamais…
J’arrête encore de respirer. Il m’observe attentivement.
- T’as changé.
- Oui?
- Oui, tu sembles plus calme, moins dans l’urgence.
J’expire un peu trop fort. Pour les séduire, il faudrait toujours paraître calme, décontractée, souriante. À l’intérieur, ça bout et ça crie : « JE VEUX LES EMBRASSER TOUS! » Mais surtout lui, surtout lui. Que cessent ces palabres et ce dialogue d’apparence! Qu’il se taise et que sa main touche la mienne! Qu’il effleure mes cheveux, embrasse ma nuque, m’étende sur le sol, me prenne. Et me murmure encore cette unique litanie, interdite.
J’en ferme les yeux.
Tant d’années. D’attente et d’errance.
Pour toujours
En revenir
Au même
Crisse
De fantasme
Usé.
Combien de ces années fastes, mais si pauvres? Des années d’études prolongées. De voyages sur les prêts étudiants. De loyers en retard. Années où le quotidien est de manquer : manquer mourir d’ennui et d’extase dans la même soirée, manquer de temps pour tout ressentir. Tout goûter. Tenter de vivre en double et en triple pour ne rien rater.
Vali regarde son téléphone, il va composer. Mon estomac se serre. L’alarme se déclenche. Je ramasse mon sac et mon foulard.
- Éloïse…
- …
- Reste. Je suis désolé.
- De quoi?
- De tout ça.
Avaler beaucoup d’air et m’enfuir plus vite que mes jambes.