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Profs au long cours

Faire l'école, être utile et cultiver la flamme

Il est urgent de trouver des solutions pérennes au décrochage massif qui fragilise aussi bien la profession enseignante que le système scolaire du Québec, tout en protégeant la flamme qui anime les femmes et les hommes qui ont choisi de consacrer leur vie à l’éducation des jeunes. Pour ce faire, il faut certes améliorer les conditions extérieures d’exercice de la profession régies par les universités, les instances gouvernementales et les gestionnaires du réseau scolaire, mais il est aussi primordial de miser sur les conditions intérieures les mieux adaptées aux défis du quotidien.

Dédié à quiconque hésite à choisir cette profession, à celles et ceux qui étudient en éducation, aux nouvelles recrues qui craignent de s’être trompées d’orientation, aux membres établis du corps enseignant qui flirtent avec l’épuisement professionnel autant qu’aux profs de grande expérience qui envisagent soudain une retraite précipitée, cet ouvrage renferme un témoignage de résilience professionnelle que son auteur, enseignant en fin de carrière, souhaite partager.

Avec cet essai de réparation, j’espère non seulement contribuer à revaloriser la profession enseignante, mais surtout montrer à quel point l’engagement du prof qui œuvre pour durer peut tout changer. 

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Extrait

L’expression « dysfonctionnement professionnel » associée à la profession enseignante montre à elle seule que le taux de décrochage qu’on y observe, non seulement au Québec mais également ailleurs dans le monde, est forcément le symptôme d’un manque. Mais qui donc en est responsable ?

            Cette question est légitime, et il faudra tôt ou tard y répondre. Par contre, en se bornant à rechercher et à identifier des coupables, l’exercice risque fort de demeurer vain. Et c’est encore plus vrai si on s’attend à ce que « les coupables » se chargent du problème, et le solutionnent. Il en résultera inévitablement un désengagement de ceux-là mêmes qui ont le plus à gagner à demeurer engagés, c’est-à-dire les profs qui vivent ces difficultés. Il faut plutôt s’efforcer de comprendre les mécanismes d’action des causes d’abandon de la profession, de bien saisir comment et en quoi elles nuisent, pour ainsi trouver les solutions les plus efficaces et surtout, demeurer actifs dans cette quête.

            Toutefois ⎼ et je le répète ⎼, même en améliorant la formation universitaire tout en renforçant son adéquation avec les défis rencontrés par les jeunes enseignants, même en améliorant le financement général de l’éducation et en bonifiant les conditions salariales à l’entrée dans la profession, même en multipliant les mesures d’aide et d’appui pour les nouveaux profs, sans oublier la mise à niveau des conditions de travail et des modalités de formation continue de tous les enseignants, il restera encore à faire étant donné que ces mesures facilitantes concernent le cadre dans lequel s’exerce la profession, soit ses conditions extérieures. Or même dans les milieux les plus difficiles où ces conditions sont loin d’être propices à l’épanouissement professionnel, il y a des enseignants qui durent et qui sont utiles à leurs élèves. C’est donc que quelque chose en eux supplée à la précarité du contexte dans lequel ils travaillent chaque jour. Qu’y a-t-il dans leur mentalité, leur vision, leur philosophie du travail et de l’enseignement qui les immunise à ce point ? C’est bien davantage à cette dernière question que je souhaite répondre.

            En cette époque où les médias sociaux permettent à tous de prendre la parole sur tout, le réflexe de plusieurs sera d’accuser le gouvernement. Et le problème quand on accuse les autorités de ne pas assez faire ceci ou de trop faire cela, de négliger l’un au détriment de l’autre, c’est que l’on se persuade que la source de ses problèmes est à l’extérieur de soi, donc hors de sa portée, et conséquemment, on s’enferme dans le rôle du plaignard, du dénonciateur et du revendicateur, cédant ainsi tout pouvoir d’agir à des instances qui ne comprennent pas pleinement le dommage subi. Dès lors, ce n’est plus d’éducation dont on se préoccupe, mais plutôt de politique. Et s’il y a une seule critique du système dans lequel nous vivons que je me permets ici, c’est bien qu’il y a trop de politique en éducation. L’élève de 14 ans qui a besoin d’aide en mathématiques avant son prochain examen ne recevra rien du gouvernement en place ou des partis politiques qui disent qu’eux, ils agiront. Seul un prof disponible aujourd’hui pourra lui venir en aide pour préparer l’évaluation de demain. Un prof qui acceptera de prolonger sa journée de travail ou d’écourter ses 20 minutes de pause sur l’heure du midi pour écouter son élève, analyser ses difficultés et lui proposer ce dont il a besoin, en retour, pour franchir les obstacles inhérents à son apprentissage.

            Je tiens à être clair : il n’y a pas à douter que le fait de travailler collectivement à améliorer les conditions extérieures d’exercice de la profession enseignante aura des retombées positives, tant pour les enseignants que pour les élèves dont ils ont la charge. C’est même toute la société qui en bénéficiera. Le gouvernement doit s’attaquer à toutes les causes systémiques du dysfonctionnement qui affecte la persévérance professionnelle des enseignants. D’un point de vue individuel toutefois, pendant que les décideurs travaillent à réaliser ce à quoi ils se sont engagés en obtenant le pouvoir, il demeurera tout aussi essentiel d’améliorer les conditions intérieures d’exercice de la profession, celles-là mêmes qui – et c’est la thèse que je défends ici – permettent le plus et le mieux de faire l’école, d’être utile et de durer.