Selon le grand récit de la Révolution tranquille, le Québec aurait brusquement rompu au début des années soixante avec la Grande noirceur — associée à la domination du discours clérico-nationaliste pendant plusieurs décennies —, pour assumer enfin et pleinement sa modernité. Dans plusieurs de ses romans, historiettes et escarmouches, Jacques Ferron s’est plu à remettre en question et à nuancer ce jugement sur l’histoire, en réinterprétant notamment l’incidence de l’héritage catholique sur notre destin collectif. Au discours évoquant un clergé ultramontain et dominateur, prêchant l’abnégation, le mépris de la chair et la mortification, Ferron aura opposé en effet un autre discours où le clergé et la société québécoise catholique n’auraient pas ignoré ce qu’est «la joie et la pétulance des enfants de Dieu». Publié en 1969, Le ciel de Québec apparaît en cela comme un nouveau récit de fondation de l’identité québécoise. Au discours prônant le refus du monde, le roman oppose celui de l’incarnation, inspiré de la mystique du Verbe fait chair, pour mieux relater la lente appropriation du pays incertain. Bien que mécréant, Jacques Ferron n’en demeure pas moins un écrivain profondément imprégné de culture catholique, en particulier jésuite. Cela est lisible non seulement sur le plan du discours, mais dans la poétique même de ce roman que l’on peut à plusieurs égards qualifier de baroque. En explicitant plusieurs aspects du fonds religieux, culturel et historique à partir duquel l’écrivain a construit sa fiction, le commentaire permet ici de rendre à cette œuvre sa fonction de transmission d’un héritage aujourd’hui quelque peu oublié.
Finaliste
Prix Jean-Éthier-Blais 2009